Marc Lavoine : L'engagement - Ma façon de vivre
IL A GARDÉ SES YEUX RÉVOLVER MAIS GARDE SES COLÈRES INTACTES.
HOMME ENGAGÉ, LE CHANTEUR AVOUE SON ADMIRATION POUR “CEUX QUI SE DÉVOUENT POUR LES AUTRES” ET SE DÉFIE DE PLUS EN PLUS DE L’IMMÉDIATETÉ, DE LA TÉLÉVISION ET DE CES “ADULTES QUI NOUS GUEULENT DESSUS TOUT LE TEMPS”. MARC LAVOINE, UN ARTISTE QUI PRÉFÈRE AIMER QU’ÊTRE AIMÉ.
Pourquoi avez-vous accepté notre demande d’interview ?
Les artistes sont souvent sollicités mais j’ai voulu vous parler parce que je pense que c’est le bon moment pour répondre à des questions
en lien avec la vie des gens, des questions qui, souvent nous prennent en otage et qui entraînent parfois de la discrimination.
J’ai envie de parler aux soignants et aux gens remarquables qui, plus largement, viennent en aide aux autres. L’Education nationale, l’Ecole, l’Hôpital, les maisons de fin de vie… Toutes ces grandes institutions sont très importantes, elles sont primordiales, et j’ai toujours envie d’aider, à mon petit niveau, à développer une parole qui se transmet en véhiculant des valeurs et principes qui sont les miens.
Comme beaucoup, vous avez eu des proches touchés par la maladie. Comment avez-vous vécu ces périodes ?
Parler de moi ne m’importe guère car on est tous confronté, un jour, à la maladie des parents, enfants ou des amis.
Aujourd’hui, nous vivons dans une société tellement fragmentée, tellement compliquée qu’il est difficile de faire face. Quand ce mot cancer s’installe dans votre vie, c’est d’autant plus ardu pour s’en sortir… C’est surtout à ces personnes que je pense ; moi, ce n’est pas tellement important, je ne me sens guère différent des autres. Parfois les gens sont en colère quand on leur annonce des mauvaises nouvelles mais grâce à des soignants, des bénévoles ou des accompagnants, face à cette maladie, la colère peut se déverser au bon endroit et ça peut aider ici et là.
Je pense aussi à ces parents qui sont perdus lorsque ça touche leurs enfants ; c’est difficile de choisir la vie quand tout s’effondre mais grâce à des associations comme la vôtre, les gens peuvent s’inscrire dans un mouvement collectif, un combat qui touche la grâce. C’est une leçon pour nous de vivre avec des personnes en difficulté, ça nous aide à regarder le monde différemment et pas verticalement avec des gens qui ne pensent qu’à gagner de l’argent ou à être les premiers. Là il est question d’être ensemble.
Souvent les gens s’excusent d’être malades ou pauvres. Je me souviens encore de cette édition du Téléthon que je parrainais, et bien c’étaient les gens en difficulté qui avaient donné le plus. C’est ça le génie français qui montre que ceux qui ne sont pas les plus fortunés se mobilisent pour ne pas laisser tomber les autres.
L’engagement ça passe par quoi ?
Ça passe avant tout par les actes, mais on ne peut jamais s’engager seul dans quelque chose. M’engager en racontant des choses, ce n’est pas très intéressant et ce serait dommage de penser qu’on peut sauver les choses tout seul. L’engagement ce n’est pas grand chose, c’est une
façon de vivre, une action collective, des idées qui se confrontent. Je tiens ça de mes parents et ce mot respecte leur mémoire. Ils m’ont appris à vivre comme ça, avec l’autre. Un mot qui n’est pas suivi d’actes c’est un simple alphabet vide de sens. Quand on s’engage, parfois on a le sentiment de désigner l’autre qui ne fait rien mais c’est très compliqué d’agir quand la moitié du pays gagne moins de 800 euros
par mois.
Parfois, un regard bienveillant ça compte aussi
Le mot bienveillant est un peu galvaudé… Ce qui m’ennuie c’est qu’aujourd’hui quand on dit merci ou bonjour à quelqu’un ça passe pour un geste bienveillant mais c’est faire fausse route ! On dirait que les gens sont étonnés par un bonjour ou un merci, mais c’est tout à fait normal de dire bonjour ! Collectivement, la société a un train de retard sur le monde bénévole. La société a créé des concepts et des réflexes bizarres. Par exemple, quand on va en banlieue, on croise des gens très gentils qui ont envie de travailler, qui se lèvent tôt le matin, très loin de tout ce qu’on nous décrit. Avant de croiser une personne malveillante, on croise des centaines de personnes amicales
mais pour s’en rendre compte, il faut les regarder, leur sourire, les considérer. Il en va de même avec la maladie car ça touche tout le
monde, c’est transversal, il est important de côtoyer des handicapés, des homosexuels, des gens en surpoids, des aveugles… chacun apprend à l’autre à apprécier le monde autrement, avec plus de gentillesse et plus de modestie.
Vous savez, on se sent très modeste quand on visite la chambre d’un enfant malade, moi, ça me remonte le moral.
"Aimer c’est connaître la faiblesse de l’autre sans jamais s’en servir contre lui"
Vous allez beaucoup visiter les hôpitaux ?
Je suis allé à Nice, à Nancy, à Marseille… J’ai rencontré des gens qui avaient des enfants malades dans des conditions difficiles, des parents qui se tapaient 4 étages à pied, qui étaient obligés de quitter leur travail en Corse pour accompagner leur enfant hospitalisé à Nice. En dépit de ces difficultés, ils ont gardé leur gentillesse, la détresse ne les a pas rendus odieux, ils aiment l’hôpital qui demeure un endroit incroyable. Dans un hôpital, on ne vous demande pas qui vous êtes mais comment vous allez, on vous parle de vous, on vous
considère.
La maladie est facteur d’exclusion, ça vous émeut ?
Quand un membre d’une famille attrape le cancer et qu’on l’hospitalise, on arrête d’aller à l’école ou au travail, c’est ce que j’appelle la double peine. Non, la vie ne s’arrête pas aux marches de l’hôpital, elle doit au contraire se poursuivre. Avec le cartable connecté, la petite fille à qui j’avais demandé ce qui lui manquait le plus, m’avait répondu : - Ma classe, les élèves et ma maîtresse”. Moi sur mon téléphone, je pouvais voir le monde entier et elle, elle ne pouvait pas voir sa classe, elle était absente. Avec le cartable connecté, elle a pu suivre les cours, être présente en classe avec ses copains, passer en classe supérieure. Un élève qui décroche, c’est difficile de
le ramener dans l’histoire. Avec ce cartable connecté, tout le monde ne s’en porte que mieux, les professeurs, les élèves et le petit
élève garde sa vie sociale, ne se sépare pas de ses rêves… Ce sont des petites choses qui font que d’un coup les médecins, les enseignants, la famille et l’enfant cheminent ensemble.
Vous soulignez également le rôle important des femmes dans la société…
Sans démagogie aucune, j’ai remarqué que très souvent lorsqu’il y a des réunions, on compte 70% de femmes. A l’école, dans les maisons de fin de vie, à l’hôpital, la maison France est tenue par des femmes, ce sont elles qui font le boulot mais je ne dis pas ça contre les hommes. Je pense qu’il faut faire avancer les choses ensemble sans s’opposer les uns aux autres mais les grandes choses qui nous dépassent échoient souvent aux femmes. Et pourtant on continue à les considérer comme une minorité.
On vous retrouve parfois parmi les sociétaires des Grosses Têtes où vous faites rire les auditeurs. C’est important le détachement, l’humour, de garder le moral ?
Oui et les enfants rient même quand ils sont malades !
Le rire c’est comme l’amour, ça nous rend humains. On aime rire, on rit comme on dîne ensemble, c’est vachement important.
Maintenant l’humour c’est devenu compliqué et on ne peut plus parler de beaucoup de choses. On se fait parfois reprendre de volée dès qu’on dit une connerie. Tout est pris au sérieux même si c’est dit sur le ton de la connerie. Il y a un humoriste que j’aime beaucoup, Jérôme Commandeur, qui fait rire sur des choses tragiques parfois.
Le rire c’est la vie ; même dans les camps, on riait.
Le rire et les arts, c’est une provocation contre le fascisme. C’est comme l’amour, c’est une provocation. Le rire c’est se dire qu’on n’est pas indispensable, le rire c’est la survie, c’est merveilleux. J’aime beaucoup aller aux Grosses Têtes, j’aime beaucoup Ruquier, Gérard Jugnot, y’a plein de sociétaires drôles comme Arielle Dombasles ou Valérie Mairesse.
Le rire réunit des gens venus d’horizons différents. J’ai été ébloui par des gens qui ont beaucoup d’esprit, l’esprit me fait rire et moi aussi j’essaie de sourire avec quelques petites blagues…
Votre dernier album s'intitule “Adulte jamais”. Pourquoi ce titre ? Parce que le temps qui passe vous effraie ?
Non, non pas du tout mais je n’aime pas beaucoup les adultes, je ne leur fais pas tellement confiance. Vous avez vu comment les gens nous traitent, comment certains à la télé nous crient dessus, ils nous engueulent tout le temps ? Je ne parle pas du Président mais de ceux qui aspirent à être des hommes d’Etat : on se fait engueuler toute la journée !
En revanche, les hommes et femmes que j’ai croisés à l’école ou à l’hôpital m’intéressent plus car ils n’ont pas la prétention de
savoir, d’avoir le dernier mot avec la main dans Google à longueur de journée. La question des élites est devenue un problème aujourd’hui..
Vous avez remarqué que ce ne sont pas les politiques qui vendent le plus de livres mais au contraire, ceux qui sont sur le
terrain, à l’exemple de personnes comme Simone Veil, qui ont agi non pas pour être élus mais pour être là. C’est difficile d’être
là… D’ailleurs ce sont des personnalités qu’on retrouve toutes au Panthéon : des hommes et femmes qui ont été décriés, exilés mais ils ont construit un oui en disant non. Ils ont construit en embrassant, pas en engueulant les gens. Aujourd’hui, on sépare les gens, c’est toujours la faute de quelqu’un. Je ne regarde plus la télé, c’est devenu une grosse blague la télé.
Vous semblez beaucoup miser sur les jeunes…
”La Grenade” de Clara Luciani parle de ce quelque chose… J’ai mon fils de 15 ans qui m’a dit l’autre jour, ‘Papa, il y a beaucoup d’étudiants dans la rue, pourquoi on ne leur parle pas à ces jeunes là ?’ Nos jeunes ont tellement d’idées, ils sont tellement drôles et intelligents, et on se retrouve comme en 68 avec l’enfant aux cheveux longs et les parents aux cheveux courts qui ne se comprennent pas. C’est dommage de ne pas comprendre ces jeunes brillants. Bien sûr, on n’est pas chez les bisounours et évidemment qu’il y a des jeunes
qui ne me plaisent pas mais dans leur majorité, ce sont des gens vraiment bien. On a de la chance en général avec les gens en France car je les trouve sacrément patients… hyper cools…
Vous chantiez en duo avec Catherine Ringer en 1987 “Qu’est-ce que t’es belle”. C’est important la beauté quand on est malade ?
La beauté, c’est subjectif, ça passe par “faire connaissance”, la rencontre. Parfois on me traite de séducteur et ça me vexe presque, je ne suis pas séducteur, vraiment pas. Etre séducteur c’est un jeu pour faire tomber l’autre, c’est crétin de faire ça. Ce qui est intéressant c’est de regarder les autres dans les yeux ; les gens ordinaires comme l’étaient mes parents ont une vie extraordinaire, ils sont beaux ces gens-là.
La beauté change au gré des époques, la beauté d’aujourd’hui n’est pas celle d’il y a 30 ans ; moi, j’aime beaucoup Gustave Courbet et Giacometti. J’aime beaucoup la grosseur et la minceur, je n’ai aucun problème avec ça.
Aujourd'hui, c’est très compliqué de se promener avec un corps. On est vite réduit à quelque chose : on dit “les autistes” mais non ! Ce sont des femmes et des hommes avec autisme, on dit “il est noir” mais non, c’est d’abord un homme ou une femme qui est noir mais c’est d’abord un homme ou une femme. La beauté naît lorsque la personne transmet quelque chose…
Et l’amour dans tout ça ?
Un sondage avait été effectué dans un pays Scandinave où on demandait aux gens ce qui leur semblait le plus important.
Certains ont dit le travail, la réussite, l’argent… Mais ils ont insisté et reposé la question : c’est quoi le plus important ? Et là, les gens ont dit “aimer”, pas ”être aimé” mais “aimer”. Vous savez, la vie on ne sait pas ce que c’est, je ne sais pas pourquoi on est là ni pour faire quoi, la mort on ne sait pas non plus, personne n’en est revenu et puis on ignore s’il y a quelque chose après. L’amour on sait pas ce que c’est non plus. Je ne sais plus dire je t’aime mais je crois que je sais encore aimer. Dire je t’aime c’est une promesse que l’autre entend mais ce n’est pas tout à fait le même que ce que vous dites. Parfois on dit je t’aime pour qu’on nous réponde. Aimer je sais ce que c’est mais l’amour je n’en sais rien, c’est multiforme, ça passe par la jalousie, la violence, la tristesse, la détresse, la tendresse, ça ne veut jamais dire pareil et on a envie de l’enfermer dans une boîte. C’est compliqué
"Les enfants ce sont nos enfants, ils sont le monde de demain, on n’a pas le droit de leur tourner le dos et de regarder ailleurs”
Et si ma classe entrait à l’hôpital ?
En France, près de 2 millions d’enfants sont hospitalisés chaque année. Quelle que soit la durée de ce séjour, leur hospitalisation les sépare de leur école, de leur classe et de leurs copains. L'enfant gravement malade subit une double peine : la maladie et ses aléas d’un côté, la privation d’une vie quotidienne “comme les autres” de l’autre. Grâce au cartable connecté le lien est conservé avec la classe, les camarades et les professeurs. C'est un outil technologique décisif qui évite la rupture de la sociabilité de l'enfant et l’aide au retour à la guérison.
Le principe ?
L’enfant se connecte via un écran à sa classe où le professeur est filmé et équipé d’un micro. L’enfant peut donc suivre les
cours avec ses copains et peut même poser des questions tout naturellement.
Aux côtés d’Abdel Aissou, président coordinateur des programmes et de Raymond Domenech, Marc Lavoine s’est investi sans compter dans ce dispositif pour “lutter contre les discriminations et favoriser l’égalité des chances”. Au-delà des discours, il y a l’action.”
Crédits photos de Marc Lavoine : Laurent Humbert // Kevin Portelli